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Public poetry: wild interventions in the public space, with a typewriter and the generosity intrinsic to any good encounter.













Photo credits Camille Reynaud

 

Alice Baude - Portraits poétiques.jpg

Il n’y a pas d’amour heureux, je chantonne seule sur la cale en m’installant. Je suis arrivée avec mon diable à six roulettes, mon édifice à poèmes : des malles remplies de microéditions et de fanzines, une boîte de peintre avec du papier, des enveloppes, des tampons dans chaque tiroir, une grosse vieille valise contenant la machine à écrire. Lorsque j’arrive avec ce tas d’affaires sur le port de Rosmeur, cela produit toujours le même son, roulettes sur pavés, cahots tenus. Lorsque je m’arrête enfin, en face des Filets Bleus, on dirait que je vais commencer un spectacle. J’évite de regarder les gens attablés en terrasse. J’enlève mes tendeurs, mes affaires, et je commence à installer. La table pliante, les chaises de camping. La belle nappe jaune, la machine à écrire. Les panneaux en bois gravés au laser « poème sur le vif ici ». Je finis par m’asseoir. Désormais, je suis face aux clients et aux clientes des cafés, et il ne se passe plus rien. Je tape ce texte à la machine. J’attends.

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Aujourd’hui je viens avec une demande tout particulière pour le port et les passants : je viens avec l’espoir que quelque chose de surprenant arrive.

Mon espoir est que les poèmes qui adviennent soient placés avec sincérité entre la délicatesse et la puissance. J’ai en moi un désir de rencontre, entier, et presque imperméable à mon abyssale vulnérabilité. J’ai besoin de faire cette action poétique dans la rue. C’est pour qu'un ami qui passe me dise d’un ton affirmatif qu’il est dangereux quand l’amour germe dans la frustration, pour que les fêtards qui n’ont pas dormi de la nuit me commandent des poèmes pour leur chien, pour leur trompette ou pour eux-mêmes. Dos à la mer, c’est-à-dire présente au passage des gens sur la promenade, j’ai posé mon office poétique. Je fais des jeux de mots, je me sens utile, j’espère attirer quelques riches qui veulent bien partager, je reste sensible. Je suis ouverte au trésor que c’est que d’être là, juste là, avec une machine à écrire. C’est ma posture : présente au miracle, avec sensibilité. Je suis disposée à parler du trouble autant que de rien du tout avec les autres. Je suis là, je reste là : disponible, disposée à offrir, à recevoir. Je souris, on me sourit.

    

Souvent, beaucoup n’osent pas venir et restent là, un peu comme sur le perron, suffisamment distants pour n’avoir pas à parler, mais seulement, restent là en sourires.

Ma présence fait au moins sourire, je pense et j’espère qu’elle réveille l’envie d’occuper l’espace public autrement. Je garde une posture d’humilité.

Ce n’est pas nécessaire, ce que je fais. C’est une proposition qui demande du courage des deux côtés.

Elle demande du courage à ceux et celles qui s’approchent vraiment, viennent s’asseoir ici, se dévoilent, se montrent vulnérables, répondent à des questions intimes et existentielles, des questions claires et intimes, existentielles. Des questions puissantes, fortes, incisives. Les conversations qui s’entament restent distantes sans perdre en émotion. Parfois, après la lecture d’un poème, la personne à qui je m’adresse pleure un peu. Cette émotion me touche, parfois je pleure avec elle. On pleure parce que c’est juste, parfois, et d’autres fois parce que l’on est ensemble, et qu’on parvient à se comprendre.

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Ça fait déjà cinq heures que je suis là. Je reste et me renforce dans une disposition de soin, de guérison presque, je fais appel à la générosité : à ma générosité et à la générosité des gens. J’ai besoin de leurs regards et de leur curiosité. J’espère qu’ils ont besoin de douceur, d’originalité, de créativité et d’expression. J’ai vu le soleil tourner, presque même partir. J’aime bien être là, qu’il soit tacite que l’on puisse me demander un poème, si l’on veut. Désormais je fais partie du décor, je ne fais plus évènement. Je pose juste un bureau dans la rue, le Dimanche : ça tient debout, c’est simple, c’est clair. Ce qui m’intéresse, c’est le point de bascule entre la performance et l’intime. Comment les gens entrent en confiance. Ils sont en confiance quand ça fait longtemps qu’ils me voient là : ça prend du temps, la confiance.

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Deux femmes me disent que l’expérience-poème est raffinée, pleine de délicatesse, que vraiment ça fait du bien. Je suis heureuse. Je me sens utile, à ma place, dans une relation sincère et poétique avec les autres. Je suis dans une optique de partage, de transmission, de curiosité honnête pour les autres. Il y a des gens que ça intrigue. Il y a des gens que ça bouleverse. Il y a des gens qui s’en foutent, d’autres à qui ça fait presque peur. Et moi, ce panel de possibles me plaît vraiment. Surtout quand je suis aussi libre, sur le port, surtout quand je suis exposée ainsi, mais dans un espace serein.

 

Cela fait bientôt sept heures que je suis là. Je suis ici désormais tout à fait seule et tout à fait entourée. Les gens des terrasses m’ont intégrée au paysage. J’ai apprivoisé leur présence pour pouvoir être véritablement détendue. Des gens que je croise depuis deux ans au quotidien peuvent ici se livrer à moi très intensément, sans filtres. Des gens que je n’ai jamais vus peuvent me narrer leurs tréfonds.

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J’ai envie que ce moment de tout-possible ne cesse pas. Je n’ai pas envie de partir.

Je suis là, avec tellement de simplicité et sans plus rien demander que je suis presque devenue une partie de la mer.

 

Une femme vient et me confie un poème qu’elle a composé depuis une terrasse

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Sirène poétesse en jolie robe à fleurs
Elle s’était échouée sur le Port du Rosmeur
Et elle offrait sa voix aux passants curieux
D’entendre son doux chant, de se voir dans ses yeux
On n’a jamais mieux fait qu’un séduisant poème
Pour dire aux solitaires que quelqu’un les aime

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Avec ses lunettes noires, je n’ai jamais vu ses yeux. Je suis émue par ce petit texte sonnant, par sa spontanéité.

Sans trop le prévoir, c’est avec ce genre d’expérience partageuse que j’avais envie d’être surprise en arrivant.

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Les pierres du port se mettent à dire.

Les pierres du port se sont mises à parler
elles racontaient les sabots les sardinières
les ivresses et les suées.
les déchargement les bateaux les rides des mémés
les caresses et les opportuns hasards.

Aujourd’hui comme un opportun hasard
vous êtes venus fouler les pierres du port
elles vous ont donné une partie de plaisir
et deux poèmes signés.

Aujourd’hui est un poème signé.
Un Dimanche à en faire taire les pierres du port
– un Dimanche amoureux, un printemps.

Elles ont chanté une petite comptine
les pierres du port
une cantonade de semelles
une  envie toute pleine de jour.

Elles ont chanté cette comptine millénaire,
celle de la pierre
qui est un conte
(parce qu’elle a tout vu).

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[poème que j'ai composé ce jour-là pour un couple de jeunes parents]

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